Le policier auteur d’un croche-pied sur une manifestante en janvier à Toulouse a écopé lundi de quelques milliers d’euros d’amende après une enquête de l’IGPN. Une peine légère pour ce geste, filmé, qui avait permis au pouvoir de s’indigner à peu de frais, sans aller sur le fond des violences policières.
Toulouse (Haute-Garonne) –. Une condamnation pénale de 1 500 euros avec sursis, sans inscription au casier judiciaire, à laquelle s’ajoutent 800 euros pour préjudice moral et 800 euros pour frais de justice à verser à la partie civile. Lundi 31 août vers 15 heures, le major de police A.M., 46 ans, cravate rouge sur chemise blanche, pantalon trop court et chaussures bicolores, est sorti plutôt satisfait de la salle d’audience n° 1 du tribunal de grande instance de Toulouse.
Il y comparaissait dans le cadre d’une procédure en reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), un « plaider-coupable », à la suite de faits de « violence volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique sans ITT ».
Des faits commis jeudi 9 janvier 2020, dans une petite rue du centre de Toulouse, au terme d’une journée de mobilisation contre la loi retraite. En début de soirée, alors que des manifestantes et des manifestants sont repoussés des alentours de la mairie du Capitole où le maire tient sa cérémonie de vœux, A.M. aperçoit une femme qui avance les mains levées, entourée de policiers progressant en colonne. Au moment où elle passe à sa hauteur et alors même qu’elle vient d’être poussée dans le dos par l’un de ses hommes, il tend son pied droit derrière lui : la manifestante chute lourdement au sol, se relève et s’en va. A.M., major de police affecté à la Compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI) de Toulouse depuis mars 2009 après avoir passé quatre ans à la BAC de nuit de Paris, fait quelques pas avant de se retourner brièvement, comme si de rien n’était. Longue d’une dizaine de secondes, la séquence est entièrement filmée par Djemadine, un youtubeur toulousain et, en quelques heures, devient virale sur les réseaux sociaux.
Dimanche 12 janvier, Laurent Delahousse la diffuse à Édouard Philippe, son invité lors du JT de 20 heures sur France 2. Commentaire du premier ministre : « C’est une image évidemment violente et évidemment inacceptable. » Le lundi 13 janvier, Christophe Castaner, alors qu’il présente ses vœux à la police nationale estime que « c’est l’honneur de la police qui est en jeu, on ne fait pas de croche-pied à l’éthique, sauf à s’abaisser, à abaisser la police ». Enfin, le lendemain, Emmanuel Macron évoque des « comportements qui ne sont pas acceptables ».
Survenu quatre jours après la mort de Cédric Chouviat et alors que le pays est plongé dans un débat sur les violences policières où l’on parle de personnes éborgnées et mutilées en manifestations et de jeunes des quartiers populaires violentés ou tués lors d’intervention de la police, le trio de l’exécutif – qui réfute le terme de violences policières – est soudain unanime, à peu de frais : ce croche-pied est insupportable.
Le 15 janvier, le parquet de Toulouse charge l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) de Bordeaux d’ouvrir une enquête. Trois semaines plus tard, le 7 février, elle est clôturée et transmise au procureur du TGI de Toulouse. Le dossier pénal de 38 pages que Mediapart a pu consulter, contient notamment un PV de « l’exploitation » de la vidéo de Djemadine (d’une durée de 5 h 19), le rapport d’information rédigé par A.M. pour sa hiérarchie dès le 13 janvier, les PV de ses auditions des 15 et 21 janvier et celui de l’audition du policier qui a poussé la manifestante.
Dans son rapport et ses auditions, A.M. reconnaît un geste « stupide, irraisonné, déplacé » et « peu glorieux ». Avant de déployer un large éventail de circonstances atténuantes : la « virulence » du groupe de manifestants auquel appartient sa victime ; les insultes entendues toute la journée (« assassin », « fascho » (sic), « pute à macron ») ; son « épuisement physique et psychologique » ; et l’effet de loupe d’une « vidéo de 8 secondes bien loin de montrer tout ce qui se passe avant et après ». Le tout appuyé par les observations élogieuses de quatre supérieurs hiérarchiques vantant un « excellent gradé, calme et pondéré », un « fonctionnaire très volontaire », « courageux, disponible et très sérieux »… N’en jetez plus.
Lors de l’audience ce lundi, Julien Brel, l’un des deux avocats de Léa*, la manifestante victime du croche-pied a préféré, lui, s’interroger sur le caractère « idiot utile » du major : « S’il doit aujourd’hui répondre de ses actes, c’est parce qu’il y a eu une vidéo. Il est un peu livré en pâture, on utilise son geste pour ne pas interroger en profondeur les modalités du maintien de l’ordre en France. »
Benjamin Francos, l’autre avocat, a rappelé au président que sa cliente n’avait pas eu le loisir d’être entendue dans le cadre de l’enquête. En peu de mots, la jeune femme a fait part de son incompréhension face à cet acte et de sa peur rétroactive lorsqu’elle a vu qu’elle s’était effondrée à quelques centimètres d’un poteau. « Une incompréhension de mauvaise foi », ont répondu A.M. et son avocate qui a tenté, sans succès, de faire endosser les frais de justice de son client par un agent de l’État.
« Je n’ai pas été blessée mais j’ai vécu l’ensemble comme quelque chose de très violent, nous a confié Léa à l’issue du verdict. Sur le moment, déjà, j’ai fait quelques pas après m’être relevée et quand les flics m’ont lâchée, je me suis effondrée en larmes. Et puis ensuite, il y a eu cette récupération médiatique et politique. J’ai beaucoup hésité, je ne me sentais pas légitime pour aller me plaindre du haut de mon croche-patte, alors que des violences policières aux conséquences bien plus graves se passaient dans le pays depuis un an. Mais il y a quand même dans cet acte un sentiment d’impunité qui me révolte et c’est pour ça que je suis là aujourd’hui. Mais je ne suis pas dupe. Si ça n’avait pas été filmé et aussi, sûrement, si je n’étais pas une jeune femme blanche avançant les mains levées, il ne se serait rien passé. C’est cela qui me frustre : à aucun moment, la violence systémique de la police n’est remise en question. Et en s’indignant de cette histoire, l’État s’épargne le soin de la regarder en face. »
« C’est un policier condamné, ça n’arrive pas si souvent, soulignent ses avocats, mais à part ça, quelle majoration liée à son statut ? C’est quand même un gradé, il a fait ça devant ses troupes. Quel message leur envoie-t-il en faisant ce geste ? » Réponse du tribunal, après vidéo incontestable, enquête de l’IGPN et émoi élyséen : ça ne coûte que 1 600 euros au civil.
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