Depuis le Ministère de la Régularisation de Tous les Sans Papiers
Le 1 octobre 2012
Monique Pouille a 62 ans, un visage rondelet, des cheveux bruns frisés et un accent du nord bien elle. Longtemps, cette retraitée modeste, catholique pratiquante, mariée à un artisan-peintre, a été l'un de ces nombreux bénévoles anonymes qui viennent en aide aux migrants en transit dans la région de Calais pour rejoindre clandestinement le Royaume-Uni.
Monique Pouille accordait du temps à une petite association appelée "Terre d'Errance". Mais un matin de février 2009, on est venu l'interpeller à son domicile de Norrent-Fontes, une commune de 1500 habitants près de Béthune. L'interpellation conduite en vertu de l'article 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui devrait être supprimé, l'a beaucoup marquée. Trois ans après, elle raconte.
"A l'époque, trois ou quatre fois par semaine, j'apportais de la nourriture aux migrants qui dormaient chaque soir dans un squat au bout de ma rue. Presque tous les jours, je prenais aussi leur téléphone portable pour les recharger.
Les téléphones, c'est la clé pour passer de l'autre côté. J'avais des multiprises à la maison. Et puis quand les migrants réussissaient à passer au Royaume-Uni, souvent ils m'appellaient : une fois pour me dire qu'ils avaient obtenu leurs papiers, et une autre pour me dire qu'ils avaient trouvé du travail. Mais le matin du xx février 2009, j'ai entendu frapper à ma porte. J'ai ouvert, et on m'a dit : 'c'est la Police aux frontières. Nous intervenons sur ordre du procureur [...]. On va vous embarquer mais on ne vous menotte pas [...]. On a été gentils, on n'est venus qu'à 7h30 du matin, normalement on a le droit de forcer les volets.'
"Je n'ai pas eu de fouille au corps mais j'ai passé deux heures en cellule. Il y a eu ensuite trois heures et demie d'interrogatoire. Ils ont été corrects et m'ont offert du thé. Ils m'ont montré plein de photos pour savoir si je reconnaissais certains visages. On m'a dit : 'on comprend votre action mais vous devez sélectionner les gens dont vous rechargez le téléphone'.
Après cette garde-à-vue, j'étais très stressée, je ne dormais plus la nuit.
Les policiers m'avaient dit que j'avais été sur écoute pendant quatre mois. J'ai écrit au procureur de Boulogne-sur-mer pour savoir où cette affaire allait mener. On m'a renvoyé vers le tribunal de Béthune. J'ai essayé de les contacter. Mais finalement, je n'ai jamais eu de nouvelles [l'affaire a été classée sans suite].
"Pendant un temps, après cette histoire, j'ai dit à mon mari : 'bon, j'arrête'. Nous, les bénévoles, en venant en aide aux migrants sans-abris, nous faisons quand même un peu le travail de l'Etat. En plus, il y avait d'autres bénévoles qui faisaient beaucoup plus que moi. Certains allaient jusqu'à chercher les migrants à la gare. Mais à eux, il n'est rien arrivé.
"Puis progressivement, j'ai repris le bénévolat, même si aujourd'hui ce n'est plus pareil. Je fais attention aux téléphones portables que je prends. Quand il y a un appareil qui revient trop souvent [qui peut donc être celui d'un passeur], je le refuse. La situation a aussi changé dans le squat depuis 2009. Au lieu d'être 25, les migrants sont maintenant environ 70. Là, ça fait trois semaines qu'il n'y en a pas un qui a réussi à passer en Angleterre alors qu'avant, il y en avait trois ou cinq par semaine. Les gens du village commencent à râler.
L'image que l'on a des passeurs n'est toutefois pas la bonne. Les gros, les têtes de réseau, ne sont pas ici, dans le Calaisis. Les passeurs que je vois sont souvent des malheureux qui n'ont plus d'argent alors que les autres ont leur famille qui peut continuer de leur envoyer de l'argent. Faire le passeur sous commande, c'est souvent pour eux le seul moyen qu'ils ont trouvé pour passer à leur tour. Pour moi ce sont pas des passeurs mais des fermeurs de portes".
Elise Vincent (propos reccueillis)
Source :
http://www.ministere-de-la-regularisation-de-tous-les-sans-papiers.net/joomla1.5/index.php?option=com_content&view=article&id=786:monique-62-ans-qun-matin-on-frappe-a-la-porte-cest-la-police-aux-frontieresq&catid=15:actualites