La justice se mobilise de nouveau pour réclamer un plan d'urgence
De Annie THOMAS (AFP) – Le 28 mars 2011
PARIS — Un mois et demi après une fronde sans précédent déclenchée par sa mise en cause dans l'affaire Laetitia, le monde de la justice a relancé lundi avec des actions locales sa mobilisation pour réclamer plus de moyens, à la veille d'une manifestation nationale à Paris.
"Cela ne fait que commencer !", a prévenu Serge Portelli, vice-président du tribunal de grande instance de Paris et membre du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), devant une petite centaine de magistrats et greffiers réunis au palais de justice pour présenter un "livre blanc" sur l'état de leur juridiction.
Selon lui, le constat est catastrophique : "personnel en souffrance", "service public à l'abandon", "jeu de dupes". "Le tribunal est en faillite", a renchéri Richard Semas Santal, pour l'USM (Union syndicale des magistrats, majoritaire).
La Chancellerie a rappelé que des moyens avaient été débloqués "en urgence" le mois dernier (triplement du budget de la réserve judiciaire et pénitentiaire, recrutement immédiat de 400 vacataires...), et fait savoir que le ministre, Michel Mercier, allait en annoncer d'autres.
Le livre blanc parisien et les "états des lieux" dressés par d'autres tribunaux doivent être remis mardi aux parlementaires, lors d'une manifestation prévue à partir de 14H00 jusqu'à l'Assemblée nationale.
Plus de vingt organisations syndicales et professionnelles (se présentant comme "groupe des 26"), représentant magistrats, greffiers, personnel pénitentiaire, avocats, etc. ont appelé à participer et, pour certaines, déposé des préavis de grève.
Des manifestants feront le déplacement depuis les régions, notamment de Bordeaux et du Nord-Pas-de-Calais où deux cars ont été prévus.
"Ces annonces ne correspondent ni à nos revendications ni aux besoins réels du terrain", ont répliqué les syndicats, en exigeant notamment "le recrutement d'agents titulaires" et "un budget à la hauteur de celui des autres démocraties européennes".
Dès lundi, diverses actions ont été organisées dans les juridictions : réunions avec des parlementaires à Créteil, Lyon ou Bayonne et conférences de presse à Nanterre, Bordeaux, Clermont-Ferrand ou Strasbourg.
Des journées portes ouvertes, tables rondes, assemblées générales et rassemblements se sont également tenus à Dijon, Montluçon, Grenoble, Saverne, Lille, Boulogne-sur-Mer, Troyes, Metz, Thionville, Caen.
Certaines AG ont voté le renvoi mardi des audiences non urgentes.
Partout, un manque criant de moyens et de personnel a été constaté, en lien avec une "inflation" de textes législatifs ayant accru ces dernières années la charge de travail des tribunaux.
De nombreux magistrats sont "épuisés et pensent à quitter leurs fonctions", face aux "directives incessantes et schizophrènes", déclarait à Bordeaux Christine Campan, déléguée de l'USM.
Ces journées d'action font suite au mouvement de protestation qui avait agité durant deux semaines en février le monde de la justice, scandalisé d'avoir été mis en cause par Nicolas Sarkozy dans l'affaire Laetitia, alors que les enquêtes administratives étaient en cours.
Après le meurtre de la jeune fille de Pornic (Loire-Atlantique) attribué à un délinquant multirécidiviste, des enquêtes internes n'avaient finalement pas révélé de faute des juges mais une série de problèmes attribués plus particulièrement aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), dont le manque de moyens avait par ailleurs été constaté.
Une sanction avait été prise contre un directeur régional des services pénitentiaires, un "bouc émissaire" aux yeux des syndicats.