Transmis par Hacktivismes, depuis Le Monde, le 7 février 2013.
Quatre mois après le coup de filet contre la brigade anticriminalité (BAC) Nord de Marseille, Patricia Krummenacker et Caroline Charpentier, les deux juges chargées de l'instruction, s'intéressent aux responsabilités éventuelles de la hiérarchie policière.
Les patrimoines et le train de vie des quinze policiers de la BAC mis en examen pour "infractions à la législation sur les stupéfiants" et "vols en bande organisée" ont été passés au peigne fin. Ces derniers sont notamment suspectés d'avoir volé des stupéfiants et de l'argent aux délinquants qu'ils interpellaient.
Les enquêteurs visent désormais leur encadrement. Une question les taraude: la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) des Bouches-du-Rhône a-t-elle choisi la politique de l'autruche pour gérer l'affaire en interne dès lors qu'elle a eu connaissance des infractions commises par ses fonctionnaires ?
Selon nos informations, les enquêteurs de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) cherchent à obtenir l'ensemble des documents et des notes de service internes susceptibles de répondre à cette question. Ainsi, fin janvier, plusieurs pièces ont été saisies à l'Evêché, les locaux de la police marseillaise.
Avisé dès 2009 des dérives de la BAC Nord, Pascal Lalle, alors directeur de la sécurité publique en fonction à Marseille – promu directeur central en juillet au niveau national –, n'a pas estimé nécessaire de prévenir le parquet.
Le procureur de la République de Marseille, Jacques Dallest, s'interroge: "La connaissance sérieuse de ces faits ne justifiait-elle pas à ce moment-là, un signalement en vertu de l'article 40 ?" Cet article du code de procédure pénale enjoint aux fonctionnaires ayant eu connaissance d'un crime ou d'un délit de prévenir sans délai le procureur de la République.
Dans cette affaire, la hiérarchie policière de Marseille a-t-elle voulu laver son linge sale en famille en tenant la justice à l'écart ? C'est ce que semble critiquer à mots couverts le procureur, officiellement alerté des soupçons qui pesaient sur la BAC Nord, le 7 novembre 2011 par une lettre du chef de la police des polices marseillaise, Didier Cristini.
Dès 2009, Pascal Lalle a procédé discrètement à quelques changements d'hommes et de cadres au sein des équipages de la BAC. Mais il a fallu attendre le 26 janvier 2012 – date à laquelle l'affaire est révélée dans Le Point – pour qu'il convoque ses cadres et chefs de groupe et les alerte officiellement de la gravité des faits.
Entendu le 2 octobre 2012 par l'IGPN, le capitaine Régis Verrechia, chef de la BAC Nord à partir de 2011 et jusqu'à la mise au jour de l'affaire a raconté cet épisode: "Il nous a demandé un travail de contrôle et nous a dit qu'il serait intransigeant s'il avait connaissance que la hiérarchie couvrait ce genre d'actes."
Pourquoi ne pas avoir sensibilisé plus tôt ses personnels ? Pascal Lalle affirme s'y être attelé, avisant à plusieurs reprises le parquet de façon informelle.
CORRUPTIONS QUOTIDIENNES
Les quinze policiers mis en examen début octobre 2012 sont sous contrôle judiciaire – les sept ayant été placés en détention provisoire ont été libérés fin décembre. Fin janvier, ces fonctionnaires ont été autorisés à reprendre leur travail. Seules restrictions, pas dans une BAC : en uniforme et en dehors des Bouches-du-Rhône. Leur réintégration au sein de la police est en cours. Elle interviendra dans les jours à venir.
Pour leurs avocats, cette bienveillance est le signe d'un dossier qui, après avoir été "artificiellement gonflé, a aujourd'hui du mal à prospérer". Me Alain Lhote, avocat d'un des prévenus, détenu du 6 octobre au 18 décembre 2012, oppose "la qualification pénale gravissime" des faits reprochés à son client – "en octobre, le parquet a parlé de gangrène à la BAC Nord", rappelle-t-il – à la rapidité avec laquelle les juges ont donné droit à sa demande de mise en liberté.
Sa consœur Me Myriam Greco, qui défend un autre mis en examen laissé libre à l'issue de sa garde à vue en octobre, voit dans ce dossier "des dysfonctionnements, un laisser-aller procédural et un laisser-aller dans le travail", mais sûrement pas des charges criminelles.
Entendus par les juges, les mis en cause ont réfuté les accusations, tout en admettant, pour certains, avoir extorqué des doses de stupéfiants à des revendeurs. "Elles sont destinées à des "tontons" [des informateurs] qui donnent des bonnes infos", minimise l'un des suspects, qui était chef de groupe à la BAC Nord.
Un autre reconnaît le vol d'une somme de 540euros : "Un pétage de plombs, dit-il au juge. Je me suis dit que, comme ça, j'allais faire du mal au trafic." D'autres fonctionnaires de la BAC ont évoqué une époque où "lorsque nous n'avions que la sacoche [les stupéfiants] et pas le charbonneur [le dealer] sur des interpellations ratées, nous conservions une petite partie du produit pour avoir une monnaie d'échange contre des informations que nous donnaient des tontons".
Au-delà de ces méthodes illégales, les écoutes mises en place dans les voitures de la BAC ont aussi révélé des pratiques de corruption quotidiennes.
Ainsi, comme l'écrit le patron de l'IGPN, le commissaire Didier Cristini, "S. [l'un des policiers mis en cause] a sa boulangerie qui lui donne ce qu'il veut et n'admet pas qu'un autre fonctionnaire de la BAC qui n'a pas son agrément s'y fasse servir gratuitement."
La révélation en octobre 2012 de cette affaire a-t-elle mis un terme aux pratiques des ripoux marseillais ? "Je voudrais être certain que ça se limite à la seule BAC Nord", répond, sceptique, le procureur Jacques Dallest.
Source :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/02/07/bac-nord-de-marseille-la-justice-vise-la-hierarchie_1828451_3224.html