Le 4 avril 2016
L'élu UMP et la députée FN ont multiplié, jeudi devant l'Assemblée nationale, les affirmations chiffrées sur les policiers tués et blessés en service, en s'emmêlant allègrement les pinceaux dans les stats.
« L’uniforme ne protège plus. Au contraire, il constitue une cible qui expose celles et ceux qui le portent. Depuis 2004, et pour la seule police nationale, le nombre de fonctionnaires tués et blessés en mission a connu une augmentation continue : 36 tués en mission, 112 tués en service, 52 000 blessés en mission, 123 000 blessés en service. Des chiffres dramatiques qui traduisent malheureusement la réalisation trop fréquente des risques pesant sur les forces de l’ordre. Il est par conséquent urgent de fournir aux forces de l’ordre les moyens leur permettant d’exercer leur fonction dans de bonnes conditions. »
Eric Ciotti député UMP des Alpes-Maritimes, jeudi 2 avril, devant l’Assemblée nationale
« Les policiers tombent sous les balles des terroristes, des criminels, des trafiquants et des bandits. Depuis 2004, cela a été rappelé, pas moins de 112 policiers ont été tués en service, et 123 782 blessés en mission. Ces tristes statistiques s’aggravent depuis 2009, avec un pic en 2014. »
Marion Maréchal-Le Pen députée FN du Vaucluse, lors du même débat à l’Assemblée nationale
INTOX. Pour justifier sa proposition de loi visant à assouplir la définition de la légitime défense des forces de l’ordre, Eric Ciotti, puis Marion Maréchal-Le Pen, ont déploré jeudi devant l’Assemblée nationale que les policiers soient devenus des « cibles ». Et les deux de dégainer une foultitude de chiffres montrant l’inflation des tués et blessés parmi les agents des forces de l’ordre.
DESINTOX. Nul ne niera que l’actualité tragique du début de l’année – qui a vu trois policiers tomber sous les balles des terroristes – a montré que les agents sont parfois pris pour cible. Mais les chiffres que convoquent Eric Ciotti et Marion Maréchal-Le Pen pour étayer leur thèse d’une inflation des victimes sont en revanche assez peu parlants…
Soit parce qu’ils sont faux.
Soit parce qu’ils mélangent des choux et des carottes et disent finalement autre chose que ce que leur font dire ceux qui les emploient.
Maréchal-Le Pen mélange tout
Commençons par Marion Maréchal-Le Pen. Elle évoque 112 policiers tués «en service». Un chiffre censé illustrer, selon la députée FN, l’exposition des forces de l’ordre aux «balles des bandits, criminels, trafiquants et terroristes».
En fait, le chiffre de 112 décédés que Marion Maréchal-Le Pen a pioché dans le rapport Ciotti, correspond au total des morts en service (76) et des morts en mission (36) depuis dix ans. Deux sous-ensembles qui n’ont, dans ce contexte, strictement rien à voir.
Les morts en service se définissent, selon la terminologie employée par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), comme « l’ensemble des décès survenus pendant les heures de service de diverses manières : par arme lors d’une mauvaise manipulation de son arme de service, en circulation lorsque le policier est victime d’un accident matériel de la circulation alors qu’il est en service, durant les entraînements de sport, sur le trajet domicile travail, ou bien encore de manière fortuite ».
Des morts qui n’ont donc ni à voir avec des agents « pris pour cible »… ni avec les problématiques de la légitime défense.
Selon le rapport de l’ONDRP : « Le plus grand nombre de décès en service est concentré dans la catégorie "trajet", qui regroupe les accidents corporels, matériels ou de circulation, survenus lors du trajet domicile travail ayant entraîné la mort de l’agent de police ». C’est le cas pour 22 morts sur les 31 décès en service survenus entre 2008 et 2013.
Les morts « en mission de police » se définissent, eux, toujours selon l’ONDRP, comme «l’ensemble des décès survenus soit en opération de police, soit en service commandé, au cours desquels le fonctionnaire met en œuvre les prérogatives attachées à sa fonction ».
Il peut s’agir aussi bien d’une agression que d’un accident survenu pendant lesdites missions.
Ce chiffre a donc davantage à voir avec le sujet évoqué par les deux députés, même si la statistique ne permet pas de faire le tri entre les agressions et les accidents survenus en mission.
Marion Maréchal-Le Pen fait la même confusion à propos des blessés. Utilisant visiblement de manière indifférenciée les termes « en service » et « en mission », elle affirme que 123 782 policiers ont été blessés en mission depuis dix ans. Notons la louable précision, à l’unité près…
Mais déplorons que la benjamine de l’hémicycle ne sache toujours pas de quoi elle parle.
Le chiffre cité correspond aussi, selon le rapport Ciotti, au total des blessés en service (71 608) et en mission (52 174).
Un chiffre qui, là encore, mêle donc des blessures aux causes les plus variées.
Maréchal-Le Pen ignore visiblement, par exemple, que sur les quelque 13 000 blessés enregistrés en 2013, plus de 1 500 agents l’ont été en faisant du sport… tandis que près de 4 000 étaient victimes d’accidents fortuits.
Les blessés par arme en mission étant heureusement bien moins nombreux (moins de 400), quoique en augmentation.
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http://www.liberation.fr/france/2015/04/04/policiers-morts-en-service-ciotti-et-marechal-le-pen-font-desordre_1234526