Le Collectif National de Résistance à Base Elèves (CNRBE)
http://retraitbaseeleves.wordpress.com/
le 13 novembre 2010
Lettre ouverte à Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Le Collectif National de Résistance à Base Elèves vient une nouvelle fois vous demander de prendre la mesure des problèmes concernant le fichage de tous les enfants de France, de décider, en conséquence, la suppression de la Base élèves (BE) et de la Base nationale des identifiants élèves (BNIE), de renoncer au Répertoire national des identifiants élèves prévu en remplacement de la BNIE et aux nouveaux fichiers nominatifs. Il s’agit d’évaluer les risques liés au principe même de diffusion de données nominatives.
Le Collectif vous demande de choisir que soit mis en place un dispositif de gestion du système éducatif respectueux du droit à la vie privée et du droit à l’oubli pour les jeunes -droits dont bénéficiaient les générations précédentes.
Les réponses aux parlementaires et le communiqué de presse du MEN le 21 octobre 2010 continuent à faire croire que la BE et la BNIE sont de simples fichiers de gestion scolaire. Or l’objectif est de constituer d’énormes bases de renseignements destinées à profiler et catégoriser la population dès le plus jeune âge.
Le Collectif attire votre attention sur l’identifiant national élève (INE) au sujet duquel le ministère ne vous donne aucune information alors qu’il joue un rôle central dans ce dispositif. Les fichiers imposés par l'Education Nationale se multiplient et s'interconnectent dans la plus totale opacité et dans l’illégalité : fichier individuel des compétences scolaires et sociales 6, fichiers de soutiens scolaires particuliers -données supprimées de la version initiale de Base Elèves et qui réapparaissent-, géoréférencement des domiciles de tous les jeunes, fichiers des enfants du voyage...
Dans ce contexte, l'attribution d'un identifiant élève à tout enfant , le suivant tout au long de sa scolarité, ne peut que susciter des craintes légitimes.
Et ceci d'autant plus qu'est actuellement en cours d'examen au Sénat le projet de loi Warsmann de « Simplification et amélioration du droit » qui vise, dans son article 2, à autoriser l’interconnexion de tous les fichiers de toutes les administrations . Ce projet est une réplique du projet SAFARI qui suscita « une vive émotion dans l'opinion publique » dans les années 70 et fut finalement abandonné. Alex Turk a utilisé à plusieurs reprises la métaphore de la grenouille ébouillantée pour décrire la situation de notre société face à la prolifération des outils de traçage des citoyens. Une grenouille plongée dans une casserole d’eau bouillante essaiera de se débattre et de s’enfuir. Le même batracien plongé dans de l’eau tiède se sentira bien. Montez la température, il se laissera engourdir et finira par mourir ébouillanté, sans avoir jamais réagi. Non, la diffusion automatique de données nominatives hors des établissements scolaires n'est pas anodine. Non, la création d'un livret de compétences numérique, super CV dont la diffusion échappera totalement à l'enfant et à sa famille ne l'est pas plus. Non, la création d'un identifiant national traçant chaque enfant ne peut être considérée comme un simple outil de suivi statistique. Mesdames et Messieurs les parlementaires, vos prédécesseurs ont su prendre la mesure des risques inhérents à un projet comme le projet SAFARI. Aujourd'hui, alors que la puissance des ordinateurs s'est vertigineusement accrue, nous espérons que vous saurez montrer qu'il n'est pas trop tard, que la grenouille bouge encore...
Les décisions du Conseil d’Etat du 19 juillet 2010, outre qu’elles ne sont pas appliquées par le Ministère de l’Education Nationale sur les deux points importants que sont le droit d’opposition des parents et les rapprochements de fichiers, ne constituent une réponse ni aux recommandations du Comité des droits de l’enfant de l'ONU (CDE), ni aux 70 organisations signataires de la lettre du 24 juin 2010 au Ministre.
Par exemple, si le Conseil d’Etat considère que les recherches d’enfants ne sont pas une finalité déclarée de la Base nationale, l’utilisation de Base élèves à cette fin est néanmoins réelle. Et c’est en raison de la crainte que cette utilisation fait peser sur les familles, que l'atteinte au droit à l'Education inhérent à l'existence d'une base de renseignements de cette nature, a été dénoncée aussi par le CDE.
Répondant à des questions de parlementaires, le Ministre assure encore le 21 octobre 2010 que le dispositif n'est pas national, qu'il a eu une période d’expérimentation, que les parents d'élèves sont informés, que les recommandations du Comité des Droits de l’Enfant portent sur BE avant l’arrêté de 2008, autant de réponses qui nécessitent d’être démenties.
L’utilisation de Base élèves à des fins de gestion modernisée s’avère bien inadéquate
: difficile à gérer pour les directeurs d’école et inutilisable pour la gestion locale, inopérante pour effectuer les constats de rentrée et les prévisions d’effectifs et pour répondre aux besoins des statisticiens. Mais, on l'a vu, son
"utilité" est ailleurs.
A la lumière des arrêts du Conseil d’Etat, le Collectif attire votre attention sur
les lacunes les plus manifestes de la législation française concernant des fichiers de cette ampleur :
- l’absence d’instances de concertation
- l’absence de texte publié
- l’absence de volonté ou de pouvoir de la CNIL d’arrêter un dispositif illégal
- l’absence de garantie de destruction des données
Le Collectif vous demande d’agir pour que ce système de fichage qui porte atteinte aux libertés soit abandonné au profit d’un dispositif qui respecte la vie privée et le droit à l’oubli pour les enfants, soit :
- une gestion des renseignements personnels exclusivement au sein des écoles : Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU
« recommande en outre que seules des données anonymes soient entrées dans des bases de données et que l’utilisation des données collectées soit régulée par la loi de manière à en prévenir un usage abusif. »
- une remontée des effectifs sous forme chiffrée et donc non nominative
- des analyses statistiques par panels ou échantillons, selon les règles généralement admises par la communauté des statisticiens
-
l'annulation des sanctions à l'encontre des directeurs d'écoles qui refusent d'utiliser Base élèves, sanctions maintenues malgré les interventions des Défenseurs des droits de l’homme
-
le refus de voter l’article 2 de la loi de « Simplification et amélioration du droit »
- une révision de la Loi de l'informatique, des fichiers et des libertés dans le sens d'une réelle protection de la vie privée, et notamment celle des enfants, et une CNIL respectueuse des principes qui étaient à l'origine de sa création.
Et par conséquent un vrai débat de fond sur la gestion de l'école prenant en considération le respect du droitdes enfants -droit inhérent à toute démocratie- afin de restaurer la confiance des citoyens des familles et des enseignants dans les institutions.
La France a su supprimer le fichier G.A.M.I.N. des années 70, elle a refusé le projet SAFARI, elle saura s'opposer au fichage généralisé dès l’enfance, problématique qui dépasse les clivages politiques comme le prouvent les considérations du Vice Premier Ministre de Grande-Bretagne accompagnant sa décision de supprimer le fichier des enfants.
Le collectif vous prie de recevoir ses respectueuses salutations et de croire, Mesdames et Messieurs les parlementaires, en son attachement à la défense des droits et de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il reste à votre disposition pour vous communiquer les informations en sa possession.
Le CNRBE
http://retraitbaseeleves.files.wordpress.com/2010/11/cnrbe-lettre-parlementaires-101113.pdf